HAITI : Barbancourt, histoire charentaise d’une “distillation” à l’haïtienne

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C’est sans doute le rhum le plus convoité des grandes Antilles, malgré l’embargo que lui impose la République dominicaine voisine. En 2022, cette légende haïtienne, qu’on peut ingurgiter sous plusieurs formes (pures ou fruitées) et qui, au cours d’un siècle et demi a su s’adapter aux subtilités locales, aura 160 ans.

Le 03 septembre dernier, alors que je traversais la frontière terrestre entre Haïti et la République dominicaine, la longue fouille de tous les bagages à la frontière de Malpass, côté haïtien, a permis à la police, ici appelée “polifront” de me mettre la puce à l’oreille. “Les dominicains ne vous laisseront pas traverser la frontière avec vos rhums haïtiens“. Je lui ai promis de rebrousser chemin plutôt que de laisser mes perles blanches et ambrées aux policiers d’en face. Finalement, comme la corruption est reine ici, 200€ et le tour est joué. Dans la réalité, la loi aux frontières dominicaines est très hostile à l’importation de produits haïtiens, notamment les deux les plus en vogue, Prestige, bière nationale qui règne dans les bistrots de la Floride et de tout le sud américain et Barbancourt, le rhum auquel la légende attribue mille vertus.

De la Charente à Port-au-Prince

Dupré Barbancourt aura été pour le milieu du XIXe siècle un visionnaire. En tout cas, en matière de jonglages distillatoires. Venu de la Charente française, il a voulu utiliser de la matière première (canne à sucre) locale en y associant une méthode charentaise celle de la double distillation. L’idée de génie fit vite miracle. Le rhum le plus “cuit” du monde a un arrière-goût cramant et relevé, associé à un poussiéreux parfum que rien n’a réussi à expliquer et que seules les papilles aiguisées savent capter. Mieux, sa faculté à extraire de divers ingrédients leur essence en a fait un “dilueur” local de médicaments traditionnels. Associé à d’autres fruits ou à la bière, Barbarcout devient l’aphrodisiaque préféré de beaucoup d’haïtiens. Quoi de mieux sur une île où, malgré tous les problèmes sociopolitiques et calamités naturelles, un bon “coup” dans la nuit est une échappatoire…  Pour cette diaspora afro si fidèle à l’infidélité “virilitoire” qui a toujours caractérisé les tropicaux.

Malgré l’hostilité dominicaine

Plus d’une heure à chercher du Barbancourt à Olé, méga supermarché de Boca Chica, banlieue santodominicaine. Dans les restaurants, supermarchés et autres bistrots de la République dominicaine, unique pays qui partage avec Haïti des frontières terrestres, vous ne trouverez aucune trace ni de Prestige, ni de Barbancourt. Ils y sont simplement interdits, ajoutant de la frustration aux relations déjà trop tendues entre les deux pays qui se regardent en chiens de faïence depuis le début du XIXe siècle, où Jean Pierre Boyer, un haïtien, a régné sur les deux Etats de l’île d’Hispaniola. Rancuniers par excellence, les dominicains qui se considèrent “supérieurs” de par leur ascendance espagnole n’ont jamais pardonné aux voisins cette humiliation.  Encore qu’il a fallu l’intervention de la première république noire pour libérer les dominicains mais aussi l’essentiel de l’Amérique de l’esclavage. J’oubliais, dans l’armée comme dans le Barbancourt, la hiérarchisation existe. Le blanc semble basic (soldat de première classe), le Pango (saveur fruité, maréchal de logis) est apprécié des femmes, mais pour les ambrés, je vous conseille le 5 étoiles qui devrait avoir 8 ans d’âge, il me semble bien meilleur à la Réserve du domaine à qui 15 années de vie sont attribuées. Sauf que le 3 étoiles est un passe-partout malgré ses 4 petites années d’existence.

Levons nos verres, ambrés, blancs ou fruités…

Je le préfère ambré. Cela n’est en rien un critère de qualité. C’est comme la bière ou les femmes, je les suppose mieux en brun qu’en blanche, noire ou rouge. Non, je dis n’importe quoi. Mais il parait que le Barbancourt blanc est indiqué en digestif et que plus il est sombre, mieux il aiguise l’appétit. “Les-ont-dits”, rumeurs de couloirs qui ont cours en Haïti, de Fort Liberté au Cap haïtien, de Delmas à Jérémie. Si vous faites un tour au pays de Toussaint Louverture, deux choses à ne pas oublier, une Prestige fraîche pour se désaltérer à midi et avant le repas, un verre de Barbancourt, ambré… Et à la place d’un cognac, le blanc du rhum haïtien est un excellent digestif. En fin de journée, quand vous arrivez à avoir du glaçon dans ce pays qui n’a droit qu’à quelques heures (4 à 7) d’électricité par jour, remplissez un gros verre, ajoutez quelques portions de Barbancourt fruité, ce n’est pas mal pour un sommeil tranquille.

MAX-SAVI Carmel

Boca Chica, le 05 Septembre 2021

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