Père Jean Marcel Louis : « Sans l’aide des églises sœurs, Haïti ne se relèvera pas de ses séismes »

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Prêtre du diocèse des Cayes (200 km de Port-au-Prince) et universitaire, Jean Marcel Louis est doyen de la faculté d’Education pour la formation des Maîtres à l’Université publique de Sud au Cayes (Upsac). Il enseigne dans d’autres universités de la Région, en particulier á l’université catholique et multicampus d’Haïti, ou encore à Notre Dame d’Haïti dont il fut vice-recteur. Alors qu’il a vécu les tremblements de terre du 14 août dernier au Foyer de la Miséricorde divine où il loge, le porte-parole du diocèse des Cayes, le plus touché des trois diocèses dévastés par les derniers tremblements de terre revient sur la catastrophe tout en faisant un bilan approfondi des dégâts. Il évoque des pistes et perspectives de reconstruction d’autant qu’il est membre d’un Conseil restreint chargé par le cardinal Chibly Langlois de réfléchir à l’avenir. Entretien.

Jean Marcel Louis, vous êtes prêtre du diocèse des Cayes et universitaire. Vous avez vécu de près les tremblements de terre de mi-août dernier, deux semaines après, comment vous sentez-vous ?

Comme vous l’avez dit, le 14 août, un séisme puissant a frappé aussi bien les Cayes où nous sommes que  le Grand’Anse, mais aussi les Nippes, trois diocèses du sud du pays. Mais Les Cayes a été le diocèse le plus durement frappé. Il s’agit d’une catastrophe innommable et effroyable que nous affrontons avec beaucoup de foi et d’espérance mais aussi d’humanité envers les personnes les plus éprouvées. C’est capital de manifester la présence de l’Eglise qui a toujours été aux côtés des pauvres et d’en faire une présence assidue, permanente, d’amour et de charité. Au-delà du témoignage, des actions tangibles sont indispensables à l’endroit des plus démunis.

Au matin du 14 août, comment avez-vous vécu la succession des événements et quelles réactions a-t-on au cœur d’une telle catacombe ?

C’est une épreuve physique et psychologique. J’ai ressenti le tremblement, très fortement. Heureusement peut-être que la toiture de l’étage de mon bâtiment est en tôle et relativement solide. J’ai dû, alors que je m’apprêtais à me rendre à l’université pour mes cours de samedi matin, m’accrocher à un pied de lit après avoir été projeté à terre. Et tout près du lit, ma bibliothèque s’est renversée sur moi. Quelques secondes plus tard, les secousses se sont arrêtées de façon provisoire et je me suis précipité vers la cour ou s’étaient attroupés des gens du foyer et du voisinage.

Les 222 églises de votre diocèse sont toutes touchées différemment, une vraie catastrophe pour le l’église locale…

C’est un immense désastre. Nous avons 63 paroisses et 159 chapelles, donc en tout 222 églises comme vous le dites. 89 se sont effondrées, 67 tiennent debout mais doivent être démolies car elles ont été trop secouées et les structures se sont disloquées. Il y a 65 qui doivent être réparées. Il faut aussi dire que de nos 63 presbytères, une dizaine s’est effondrée totalement alors que 14 sont à démolir et 29 nécessitent des réparations. Nous ne pouvons que faire appel à ces généreux chrétiens de l’Amérique du Nord, de l’Europe et des philanthropes hommes et femmes de bonne volonté qui ont aidé, pendant des décennies notre diocèse à se construire. Sans l’aide et la solidarité des églises sœurs, Haïti ne peut pas seul se relever.

Actuellement, l’essentiel du diocèse est écroulé. L’évêché est parti en quelques secondes. Comment s’organisent les paroisses pour les célébrations eucharistiques ?

Il faut avant tout saluer la mobilisation et la générosité locales venues de gens d’ici, de gens venus de Port-au-Prince et d’autres villes de notre pays pour aider et assister immédiatement. Certains pays comme la République dominicaine, le Canada, les Etats-Unis, le Mexique, mais aussi les îles françaises des Antilles étaient déjà là au lendemain de la catastrophe. Une spontanéité dans l’action et la Charité Chrétienne qui nous a énormément touchés ainsi que la résilience de nos fidèles qui ont, tout de suite, repris les constructions provisoires pour continuer, en plein air et sous des bâches, à dire la messe.

Haïti est un pays d’épreuves. Cyclones, tremblements de terre, extrême pauvreté, corruption, instabilité politique. Quand on  est coincé entre autant de malheurs pour un seul peuple, est-ce que le doute ne vous envahit pas finalement?

Dieu est Sagesse et a partagé celle-ci avec nous sous forme d’intelligence que nous devons transformer à notre tour pour nous prémunir. Il nous laisse libres de choisir comment et cela jusqu’à ne pouvoir pas l’aimer ou le rejeter. Nous savions que notre pays est sur une plaque sismique dangereuse, il nous revient aussi d’en tirer les leçons pour construire des bâtiments adaptés et parasismiques. L’intelligence que nous partageons avec Dieu n’a pas été suffisamment mise à profit pour prévenir ce que nous aurions pu. Et au contraire d’un doute, nous avons senti la présence et la main de Dieu qui a évité le pire. Des histoires de petits miracles ici et là en sont des illustrations évidentes. Nous ne devons donc pas excuser notre responsabilité et accusons Dieu alors qu’il nous a donné l’intelligence d’éviter certaines calamités. Pour moi, il n’y a pas de fatalité, il y a une responsabilité de prise en charge et de prise en main à laquelle il faut faire appel dans notre pays.

Comment va le cardinal Chibly et qu’attendez-vous de la mobilisation en Haïti et dans le monde, notamment des églises sœurs ?

Le Cardinal Chibly Langlois se porte moralement, psychologiquement et spirituellement bien. La chute dont il a été victime le laisse avec le genou gauche affecté au niveau de la rotule oú il a subi une intervention chirurgicale mineure. En cette circonstance particulière nous le recommandons á la prière des uns et des autres pour ses charges particulières dans le diocèse et en Haïti mais aussi pour ses hautes responsabilités dans l’Eglise universelle. Des fidèles des Eglises-sœurs nous attendons encore leur prière leur attention active et participante leur ’aide généreuse, de l’amour même si nous savons par avance que la pandémie de covid-19 est en notre défaveur et a plongé le monde dans une forme de crise. Ce qui peut raréfier les dons mais nous faisons confiance au Christ, premier Pasteur de son troupeau qu’est l’Eglise. Une commission d’une douzaine de personnes évalue l’état des lieux mais nous ne pouvons pas nous en sortir sans l’aide des églises sœurs de l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la France, la Belgique, le Canada et les Etats-Unis comme partenaires habituels et permanents mais aussi les diocèses frères d’Haïti dont la générosité a été immédiate et spontanée.

Propos recueillis aux Cayes (Sud Haïti) par MAX-SAVI carmel

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